Portrait du photographe et cinéaste marin, Kazem Bayram
Kazem plonge en apnée pour raconter les océans en argentique.
Entre poésie et précision technique, il capture la vie marine comme personne. Après trente ans, nos chemins se sont recroisés au studio, pour un portrait et de longues conversations sur l’art, le regard et la mémoire des images.
Une rencontre qui a inspiré ma compréhension de la photographie
Il y a presque trente ans, j’étais vendeur à la Fnac Parly 2. Parmi les clients qui marquent une vie professionnelle, il y avait Kazem Bayram. Dès qu’il nous rendait visite au magasin, ce n’était pas juste pour acheter ou regarder du matériel : c’était pour partager. Il nous racontait ses expéditions en apnée, ses plongées silencieuses dans les eaux du Golfe Persique ou d’autres mers du monde, ses rencontres avec les poissons, les coraux et les éponges.
J’écoutais ses histoires comme on lit un grand roman d’aventure. Il décrivait avec une précision presque scientifique la façon dont chaque espèce nage, réagit, s’approche ou s’éloigne. Cette connaissance intime du comportement animal lui permettait de réaliser ses images avec un respect absolu pour l’environnement. Et pour les capturer, il fallait aussi maîtriser une donnée essentielle : la lumière sous l’eau, qui ne se comporte pas du tout de la même façon à 5, 10 ou 50 mètres de profondeur.
À cette époque, la photographie était pour moi une simple passion, une technique que je trouvais plus complexe que la vidéo, un monde élitiste. Kazem a fait partie de ces personnes qui m’ont aidé indirectement à transformer cette passion en profession.
L’odyssée d’un artiste sous-marin : entre lumières et ombres
De l’Iran à la France, des abysses aux tribunaux, la vie de Kazem Bayram est une quête acharnée de beauté, marquée par des triomphes artistiques et des luttes pour la liberté.
Parcours d’un passionné
Né en 1955 en Iran, Kazem découvre la photographie au lycée. En 1979, diplôme en poche, il quitte son pays natal pour étudier en France. Après des années d’efforts et d’abnégation, il réalise son rêve : devenir photographe-reporter pour la presse.
Sa passion pour l’océan le pousse vers la plongée. À l’université, il obtient sa première étoile de plongée sous-marine, puis part perfectionner son apnée près de Dakar, sous la tutelle du maître apnéiste M. Touré. Son objectif : capturer l’invisible, photographier le monde sous-marin en apnée.
La révolution Nikonos RS
En 1993, la sortie du Nikonos RS révolutionne sa pratique : premier reflex sous-marin automatique et étanche jusqu’à 100 mètres. Ses optiques légendaires (13 mm Fisheye, 28 mm, 50 mm macro, 20-35 mm zoom) restent inégalées à ce jour. Grâce à cet outil, il peut se concentrer sur l’essentiel : composer ses images tout en surveillant les courants et la vie marine.
Globe-trotter et artiste primé
1995 : triple prix au festival Okeanos (Montpellier) pour L’Huître Rouge et Bleue.
1996 : 2ᵉ prix au Festival mondial de l’image sous-marine (Antibes) pour Au Pays des Quatre Printemps.
1997 : Prix du public à Nausicaá pour Free Diver.
1998 : Palme d’Or pour Le Rêve de Perle.
2006 : Plongeur d’Or pour L’Or de Caspienne.
2012 : Double victoire à Moscou pour Mehr et Omid.
Le piège iranien
De 2009 à 2012, Kazem dirige une ambitieuse production télévisée en Iran, avec deux ans de tournage jour et nuit. Mais le projet tourne au cauchemar : interdiction de quitter le pays, confiscation des films, et onze années de bataille judiciaire. Contraint de céder ses œuvres, il retrouve enfin la liberté en juillet 2025, regagnant la France après ce long calvaire.
Un maître de l’apnée et de l’argentique
Kazem est un photographe qui travaille en apnée. Pas de bulles, pas de bouteilles. Il se plaque en douceur au fond, se fond dans le décor, attend. L’eau devient son studio, et la vie marine continue son ballet naturel autour de lui.
Pour rien au monde il ne revendrait ses appareils photo ou ses optiques : ce matériel est une partie de sa vie. Fidèle à l’argentique, il travaille avec un Nikonos RS, deux flashes Nikon SB-104, des bras articulés Light & Motion et des pellicules Fujifilm Provia 100 ASA.
Retrouvailles au studio
Après treize années passées en Iran, Kazem est revenu. Nous avons parlé de nos souvenirs, de nos amis communs et de ce montage vidéo que j’avais réalisé sur ses images, avec un texte écrit par un collègue de la Fnac et ma voix en narration.
Je l’ai invité au studio pour une séance portrait. Pendant que je le photographiais, il parlait de son art, de son exigence technique, de la patience qu’il faut pour attendre le bon mouvement d’un poisson, et de cette approche respectueuse qui lui permet d’être accepté dans un monde qui n’est pas le nôtre.
Je l’ai trouvé toujours aussi passionnant lorsqu’il explique, avec poésie, comment il s’approche des poissons pour les photographier. Il m’a décrit par exemple le mouvement de la sole, cette danse discrète qui la rend presque invisible dans le sable, et comment anticiper chaque geste pour ne pas rompre l’équilibre.
Nous avons aussi échangé sur mon travail de portraitiste. Je lui ai confié que j’aimais capter le regard des gens, contribuer à leur histoire photographique à travers une émotion, une joie, une tristesse, un amour… Il m’a expliqué qu’il ressentait lui aussi cette sensibilité dans le regard des animaux, et qu’il savait ainsi s’il les dérangeait ou s’il pouvait rester encore un instant dans leur monde.
Un langage universel
“Ma vie est celle d’un artiste qui n’a jamais cessé de créer, malgré les trahisons et les entraves.
J’aurais aimé être le pont culturel entre l’Iran et la France.
Mon salaire ? La mer. Ma liberté ? Volée. Mais mon héritage demeure : ces images où la lumière perce les profondeurs, comme un espoir tenace.”
Kazem, c’est la preuve que la photographie n’est pas seulement un métier ou un loisir. C’est un langage universel, capable de relier l’humain, l’animal et la nature dans un même souffle.
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